SUN AND MOON • feat Robyn

Après le chaos, le calme. Ou du moins, un semblant de calme. Mais étant donné la situation, Neal était prêt à prendre le moindre moment de tranquillité qu'on pouvait lui offrir.

Maintenant que le choc du crash était passé et que tout le monde était en sécurité, à l'abri sur la plage, loin des vagues et de la carcasse qui s'enfonçait lentement dans l'océan, les survivants avaient installé les blessés dans une zone protégée du soleil. Naturellement, Neal avait participé à l'effort : depuis qu'il s'était réveillé sur le sable mouillé quelques heures plus tôt, il n'avait cessé de prodiguer les premiers soins aux blessés. Certains avaient pu être sauvés, d'autres avaient malheureusement succombé à leurs trop graves blessures. D'autres étaient en piteux état ; les soignants avaient fait de leur mieux pour les installer le plus confortablement possible, en récupérant notamment certains sièges de l'avion qui n'avaient pas été engloutis par la mer.

Mais tout cela restait bien précaire et Neal s'inquiétait du risque d'infection pour tous les survivants qui avaient des plaies ouvertes. Ils avaient réussi à mettre la main sur des bouteilles d'alcool miniatures distribuées dans l'avion et quelques kits de survie mais ce ne serait pas suffisant pour soigner tout le monde. Si les secours n'arrivaient pas dans les prochaines heures, la liste des victimes risquait de s'allonger dangereusement et personne n'y pourrait rien. La plupart des survivants était également déshydratés mais sur la plage, il n'y avait aucune source d'eau potable : y aurait-il des courageux pour s'aventurer dans l'épaisse jungle qui bordait le sable ?

Agenouillé à côté d'une vieille femme, Neal termina de suturer la plaie qu'elle avait à la tête tout en la rassurant du mieux qu'il pouvait. La pauvre femme était désorientée et prononçait sans cesse le prénom d'un homme, peut-être son mari, mais il n'y avait personne à ses côtés. Plusieurs fois, Neal lui avait demandé si ce dernier était dans l'avion mais elle ne semblait pas capable de répondre. A quelques mètres d'eux seulement, un homme qui avait un morceau de tôle enfoncé dans les côtes hurla de douleur, interrompant la quiétude qui s'était installée dans la zone de triage. Les prochaines heures risquaient d'être longues, très longues, songea Neal en prenant la main de la vieille femme, dans un dernier effort pour l'apaiser.

Physiquement, il était pleinement présent auprès des blessés mais son esprit était ailleurs. Il ne cessait de penser à ses neveux et nièces, et à Ellie. Ellie qui ne se trouvait ni parmi les victimes, ni parmi les rescapés. Par moment, les larmes lui montaient aux yeux mais il se forçait à les ravaler, par respect pour son amie. Ellie était une force de la nature que rien n'arrêtait, une véritable tornade rousse, et elle n'aurait certainement pas accepté qu'il se morfonde sur son sort. Comme si elle avait lu dans ses pensées, la jeune Robyn croisa son regard à cet instant et lui adressa un sourire, qu'il lui rendit. Jamais il n'aurait pensé recroiser Robyn Myers, ambulancière à l'hôpital de Washington, dans ces circonstances ! Il la connaissait peu mais c'était agréable de voir un visage connu au milieu de l'horreur. Elle aussi s'activait auprès des blessés avec son énergie naturelle, comme si le crash n'avait pas eu d'emprise sur elle. Il admirait sa force et sa détermination, c'était d'ailleurs ce qui lui avait plu chez elle lorsqu'ils avaient échangé quelques mots lors d'une conférence. Il était heureux qu'elle soit à ses côtés dans cette épreuve, cela la rendrait sans doute plus facilement supportable.

En se relevant, sa jambe droite, meurtrie depuis des années, se rappela brusquement à son souvenir et il fit quelques pas parmi les lits de fortune pour se dégourdir les membres. Son corps commençait à fatiguer, il avait occulté ses blessures jusqu'à présent mais il ne pourrait pas le faire indéfiniment. Néanmoins, se reposer alors que tant de personnes souffraient lui semblait impensable : il ne serait rassuré que lorsqu'ils auraient trouvé suffisamment de médicaments pour tout le monde. Antibiotiques et anti-douleurs allaient bientôt devenir indispensables. Il se tourna vers Robyn et la prit à part afin que les blessés n'entendent pas ce qu'ils allaient dire. Ce n'était pas la peine de les angoisser davantage, la situation était suffisamment compliquée.

— On a besoin de plus de médicaments. Et d'eau potable, aussi, ajouta-t-il en soupirant, mesurant déjà l'ampleur de la tâche. Je ne sais pas comment on va s'en sortir si les secours n'arrivent pas rapidement. Je vais aller faire un tour du côté des valises que l'on n'a pas encore inspectées, on ne sait jamais. Il essaya de lui sourire mais vu son humeur actuelle, ce n'était probablement qu'une grimace. Tu vas bien, au fait ? Oui enfin, c'est sans doute pas un très bon choix de mots étant donné les circonstances... Mais tu vois ce que je veux dire. J'aurais aimé te revoir dans d'autres circonstances.  

C'était étrange, mais la simple présence de Robyn apaisait Neal. Il se souvenait, lorsqu'il était au fond du trou après son retour d'Afrique, d'être terrifié à l'idée de se retrouver seul dans son appartement. Cette simple perspective lui provoquait des crises d'angoisse que seule la présence de sa grande soeur Rachel, et une bonne dose d'anxiolytiques, avaient su calmer. Aujourd'hui, il se sentait bien plus stable mais le choc du crash avait violemment ébranlé sa tranquillité d'esprit. Un visage connu parmi la foule l'aidait énormément et même s'il ne pouvait pas remercier Robyn pour cela, au risque de passer pour un dingue, il se promit de tout faire pour aider la jeune femme. On racontait souvent que traverser ensemble des épreuves permettaient de souder une amitié et c'était exactement ce qu'il ressentait à cet instant. Lui qui avait pour habitude de se promener au milieu des gens tel un fantôme, sans jamais s'attacher à personne, se sentait soudain bien plus proche de Robyn que de ses collègues avec qu'il travaillait pourtant depuis des années.

Il hocha la tête d'un air grave lorsque Robyn suggéra qu'il leur faudrait bientôt se rendre dans la jungle à la recherche d'eau. Sans vouloir passer pour un trouillard, il n'avait aucune envie de mettre les pieds dans cette forêt qui grouillait sûrement de bestioles en tout genre. Voilà bien ce qu'il n'avait jamais supporté lors de ses voyages : les insectes. Il se rappela soudain d'un jour où il avait trouvé une énorme araignée dans l'évier de la cuisine et que c'était Lucy, du haut de ses dix ans, qui s'était débarrassée de la bête. Il sourit en pensant à sa nièce, qui aurait sûrement été dans son élément sur l'île, elle qui aimait tant la nature et les animaux.
— Aucune idée. Il aurait aimé avoir de nouvelles plus rassurantes à lui donner mais il n'avait réellement aucune idée du temps que pouvaient mettre les secours à arriver en cas de crash d'avion. Déjà que la situation ressemblait à un mauvais film de série B... Bientôt, j'espère. Dans l'idéal, il faudrait leur envoyer un signal pour leur donner notre position mais pour ça, on a besoin du cockpit de l'appareil. Et évidemment...  Il eut un geste las, désignant les quelques débris qui jonchaient le sable. Il voulut poursuivre mais sa voix se brisa. Désolé, je... Je voyageais avec une amie et elle... enfin, elle était installée à l'avant de l'avion et elle n'est pas... Je ne sais pas où elle est. Il ne pouvait pas se résigner à le dire. Tant qu'il n'aurait pas vu le corps sans vie d'Ellie, il refuserait de la croire morte et tant pis s'il s'accrochait à une chimère.

— Ça va. Je devrais avoir besoin de quelques points de suture, c'est tout. Je m'en occuperai plus tard, quand ce sera plus calme.   Si ça devient plus calme. Car pour le moment, Neal avait l'impression que tous les rescapés avaient déjà supporté bien trop de choses en une journée et qu'il suffirait d'une étincelle pour mettre le feu aux poudres. Il connaissait suffisamment l'être humain pour savoir que confiner ensemble des personnes dans un environnement hostile pouvait très vite tourner au désastre. Stop. Arrête de penser au pire des scénarios. Respire. Relativise. Concentre-toi sur Robyn. Tu devrais t'asseoir un peu pourtant, tu n'arrêtes pas depuis le crash. Une vraie pile électrique. Ce n'était pas un reproche, mais plutôt un compliment. L'énergie que déployait Robyn était impressionnante et il ne voulait pas qu'elle s'épuise aussi vite. Les rescapés allaient avoir besoin de ses talents dans les heures, ou les jours à venir. Montre-moi ta cheville, ordonna-t-il en employant le ton du médecin faussement autoritaire. Il aurait aimé lui dire qu'il était heureux de l'avoir à ses côtés mais il n'avait jamais été doué pour exprimer ses sentiments, il préférait largement les actes aux longs discours.

— Désolé pour ton frère, répondit-il simplement parce qu'il ne savait pas quoi dire d'autre. Il n'avait pas de mot assez fort pour décrire la peine qu'il ressentait à propos d'Ellie, alors comment pouvait-il trouver les mots justes pour réconforter Robyn ?

Mais lorsqu'il vit les larmes dans les yeux de la jeune femme, quelque chose de semblable se brisa en lui et il sentit le chagrin le submerger à nouveau. A chaque fois, il luttait pour le repousser mais telle une bête vicieuse et invisible, il revenait encore plus fort. Posant brièvement sa main contre celle de Robyn pour consoler, il lui adressa un faible sourire.

— Tu crois... Il hésita un instant. C'était un sujet sensible car personne ne savait réellement ce qui était arrivé aux passagers de l'avant de l'appareil. Croire en de faux espoirs pouvait être hautement dangereux, dans une situation comme la leur. Surtout, il ne voulait pas causer davantage de chagrin à Robyn ; mais il avait besoin de savoir s'il pouvait compter sur son soutien dans les heures ou jours à venir. Tu crois qu'ils ont survécu ? L'autre partie de l'avion a peut-être atterri ailleurs... Je crois qu'on devrait essayer de les chercher.

Son regard se posa sur la jungle, à quelques pas d'eux à peine. Pour l'heure, Neal ne se sentait pas suffisamment en forme pour partir en exploration mais dès que la situation avec la blessée serait stabilisée et qu'il aurait retrouvé de la force, il savait qu'il tenterait sa chance. Pour Ellie. Il espérait que Robyn ne trouverait pas l'idée complètement insensée. Pour le moment, elle était la seule personne sur cette île en qu'il avait pleinement confiance et son soutien était important.

Finalement, après avoir hésité, son amie accepta de le laisser examiner sa cheville.

— Il faut que tu prennes soin de toi, c'est important, rétorqua-t-il en essayant de ne pas sonner comme un vieux con (mais c'était peine perdue, il le savait !). Puis, il s'agenouilla près d'elle et retira délicatement sa chaussure afin de ne pas lui faire plus de mal. Sa cheville n'était pas en bonne état : gonflée et violacée à certains endroits, elle semblait très douloureuse. Heureusement, elle n'était ni luxée ni cassée même s'il ne pourrait pas en être certain complètement tant qu'il resterait sur cette maudite plage. Ça ressemble à une mauvaise entorse. Dans l'idéal, il faudrait que tu appliques de la glace mais bon... Il ne termina pas sa phrase et adressa un sourire ironique à Robyn. Étant donné la chaleur, la probabilité de trouver de la glace par ici était proche de zéro. Comme c'est plus calme par ici, reste assise un moment, d'accord ? Je vais trouver de quoi surélever ta cheville. Pour que tu puisses te déplacer sans trop de problème, il faudrait te faire une espèce d’attelle.

Il se releva et jeta un coup d’œil aux objets qu'ils avaient trouvé dans les débris. Au moins, pendant qu'il s'occupait, il ne pensait plus à Ellie. Voilà ce qu'il devait faire : veiller sur les blessés, veiller sur Robyn jusqu'à en oublier l'horrible vérité.

Les secours allaient arriver. Du moins, c'était ce que Robyn pensait et cela suffisait à Neal pour le moment. Il connaissait suffisamment la jeune femme pour savoir qu'elle possédait une grande force intérieure, il l'avait vue à l’œuvre juste après le crash, lorsqu'elle s'était acharné à réanimer un jeune homme qui semblait pourtant condamné. Robyn était une battante et si elle croyait à l'arrivée prochaine des secours, Neal y croirait aussi.

— Tu ne pourras pas aider grand monde si tu tiens à peine sur tes jambes, asséna-t-il d'un ton qui ne souffrait d'aucune réplique. Je suis sérieux, Robyn. Les gens ont besoin de toi, ici. Et si jamais les secours... enfin, disons que si hypothétiquement, les secours mettaient plus de temps à arriver que prévu, il faudrait qu'on soit particulièrement efficaces pour garder tout le monde en vie. Alors repose-toi un peu parce que la nuit risque d'être longue.

Bien sûr, ce qu'il racontait était le pire scénario, celui qui n'était jamais censé se produire à part dans les plus mauvais films catastrophes. Mais après avoir vécu un crash d'avion, Neal n'était plus sûr de rien. La confiance qu'il avait placée en l'arrivée des secours quelques minutes plus tôt commençait déjà à s'effriter.

Heureusement, il avait des soins à effectuer et cela lui permit de chasser toutes les pensées négatives de son esprit. Lorsqu'il soignait quelqu'un, il avait tendance à tout oublier pour se concentrer uniquement sur les tâches à accomplir et c'était assez reposant. Il se rappelait des paroles de son thérapeute qu'il avait consulté pendant des années après son retour d'Afrique. Un pas à la fois. Parfois, c'était plus facile à dire qu'à faire, surtout lorsque son cerveau s'emballait et devenait hors de contrôle mais tandis qu'il cherchait de quoi confectionner une attelle de fortune à Robyn, Neal s'aperçut qu'il lui était soudain facile d'oublier l'urgence de la situation et de ralentir. Observer les objets autour de lui et repérer ceux qui pourraient lui être utiles. Se pencher pour les ramasser, les examiner, les assembler. Des actions simples mais extrêmement rassurantes pour un homme dont le taux d'angoisse avoisinait quotidiennement les 100%.

— Je crois que je donnerais tout pour pouvoir seulement toucher quelque chose de froid, répondit-il en souriant à Robyn. La dernière fois que j'ai eu aussi chaud, je crois bien que c'était en Afrique... Il s'interrompit brusquement, honteux d'avoir laissé échapper cette information à propos de lui-même. Robyn ignorait tout de sa vie passée, seulement qu'il était un pédiatre à l'hôpital de Baltimore et il ne tenait absolument pas à s'épancher sur cette partie de sa vie. Heureusement, la question de la jeune femme lui permit de changer habilement de sujet. Honnêtement ? Pas grand chose. Ma vie est d'une banalité affligeante. Enfin, jusqu'à aujourd'hui, évidemment !

Il s'apprêtait à lui raconter ce qui l'avait amené à monter dans cet avion, à savoir cette maudite émission de télé-réalité dont il regrettait maintenant amèrement l'existence, lorsque ses yeux aperçurent une large bande de tissu, parfaitement capable de maintenir la cheville de la blessé en place.

— Je vais te poser un strap, tu pourras te déplacement plus facilement comme ça.

Joignant le geste à la parole, il retourna s'agenouiller auprès de Robyn et commença à enrouler le bandage improvisé autour de la cheville de sa patiente, de façon à compresser correctement l'articulation.

- Surtout, dis-moi si je te fais mal. Et, pour détourner l'attention de Robyn pendant qu'il manipulait sa cheville blessée, il poursuivit : Et toi alors ? Quoi de nouveau dans la vie de mademoiselle Myers ?

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