SAM ➴ i'm what's wrong.

Âge et date de naissance ✈ t'es né en décembre 1997. une nuit de tempête. une triste nuit d'hiver, le 21 décembre pour être exact. mais tout le monde s'en fout, tout le monde s'en est toujours foutu, de toute façon. depuis 21 ans, tout le monde s'en fout. ; Nationalité ✈ t'es américain. enfin, c'est ce que disent tes papiers. en réalité, t'as des origines suédoises et allemandes par ta mère. le coté américain, c'est tout ce que t'as hérité de ton père. enfin, la seule bonne chose que t'ait hérité de lui... ; Lieu de résidence avant le crash ✈ ici. partout. ailleurs. nulle part. t'as jamais été chez toi nulle part, trainé de foyers en foyers, de villes en villes, bringuebalé d'un propriétaire à un autre sans ne jamais avoir la moindre appartenance, ni aucune place dans ce monde. un sordide taudis de Washington était ton dernier toit. ; Situation familiale avant le crash ✈ t'as jamais vraiment su ce qu'était qu'avoir une famille. t'as pas d'attache, juste une génitrice et un géniteur. ; Signes particuliers ✈ ces cicatrices qui recouvrent ton corps, marques de sévices d'un autre temps, marques d'un père peu aimant, d'une mère mal-aimante, d'années à subir des coups, à te battre, à casser le moindre de tes os... ;  Armes possédées ✈ t'as ce petit couteau suisse. ce seul objet dont tu ne te sépares jamais. mal aiguisé, qui a essuyé chaque tempête à tes cotés. ; Groupe ✈ gamma ; lieu du crash ✈ t'étais à l'arrière de l'avion, t'as donc atterri dans l'eau, avant d'échouer sur la plage sud ; Avatar ✈ louis hofmann.

Tu craches du sang. Un léger filet. Si fin. Ta lèvre s’étant déchirée sur à peine quelques millimètres. Un si petit filet. Quelques gouttes sur le parquet. Là, à coté de tes doigts. Tes doigts d’enfant. Ton visage, si souvent tuméfié a bien trop l’habitude des coups qui pleuvent. Pourtant, tes yeux s’humidifient. Ils n’ont pas l’habitude, eux. Pas autant que ta peau. Pas autant que tes os. « Mauviette » T’entends sa voix, mais tu n’oses pas bouger. T’es qu’un enfant. Un sale gamin sur les joues duquel glissent des perles d’eau salée. T’entends son rire mutin quelque part, derrière toi, derrière lui. Le rire d’une mère amusée par l’humiliation que subit son gamin. Parfois, tu te demandes si elle avait un jour voulu te voir venir au monde. Mais, tu sais que non. Tu n’as été qu’une erreur. Un oubli. Un préservatif qui craque ou qu’on ne met pas. Parce qu’on n’a pas le temps. Parce que sous l’effet de la drogue, ou de l’alcool, on n’y pense pas. T’es qu’une erreur. Un punchingball. Celui sur lequel on déverse colère et regret. Parce que c’est de ta faute. T’es la bouche en plus à nourrir. La bouche de trop. Celui à cause de qui les services sociaux sont déjà venus à la maison. Et tu sais pas pourquoi mais papa ne les a pas laissé t’amener. Putain de fierté. Ils veulent pas de toi, mais t’es à eux. A eux, et à personne d’autre. Une marchandise. Leur marchandise. Celui sur lequel ils écrasent leurs clopes. Celui qui prend le trop plein d’humeur. Le gamin. Sombre merde aux cheveux d’or. Un regard innocent qui a déjà tant vu, tant entendu, tant subi…


« Maman, non, mamaaaaaaan ! » Tu pleures. Plus que tu n’as jamais pleuré. Tu sais pourquoi cette dame t’emmène avec elle. Tu sais que la maitresse a vu tes bleus, jour après jour. Les cicatrices sur tes bras, les marques de brulure. Mais t’es qu’un gamin, et les enfants ont besoin de leur maman. Les larmes glissent sur ta peau, sur tes joues de pré-adolescent. Tu vois ta mère, sur le pas de la porte de la cuisine, une cigarette dans une main, l’autre contre sa hanche, comme espérant que cela lui donnerait un minimum d’allure. Mais, elle ne trompait personne. Les marques de coups étaient visibles sur sa peau blafarde, tout comme les cernes, et cette blessure de la veille, là, sur sa lèvre inférieure. Elle te regarde, d’un regard vide. Ce même regard qu’elle avait toujours quand elle posait les yeux sur toi. Tu ne représentais, pour elle, rien d’autre qu’une charge, si ce n’est celui qui essuyait les coups quand elle n’en avait plus la force. Celui qui essuyait ses coups, à elle. Ses reproches. Sa haine. Celui qui absorbait toute sa colère, celui sur lequel se déversait sa haine. Mais, elle restait ta mère. Celle qui te nourrissait malgré tout, quand elle y pensait. Celle qui payait tes vêtements, et les rapiéçait aussi. Elle était la seule mère que tu avais eue, la seule que tu aurais, parce que tu étais trop grand pour les familles d’accueil. Trop instable aussi. Parce que les coups, c’était tout ce que tu connaissais. La violence. Tu ne connaissais rien d’autre. Bien au contraire. La douceur des autres te désarçonnait, te mettais mal à l’aise, en colère même. Parce que tu ne connaissais rien d’autre, incapable de gérer des émotions que tu ne comprenais pas, que tu ne savais ni nommer, ni accueillir.


« Et alors, tu vas faire quoi, le gringalet ? » T’esquisses un léger sourire. Un sourire en coin. C’est vrai, t’as pas son physique. T’es rien qu’un gringalet. Un sale gamin qui ne trouve sa place nulle part. Trimballé de foyer en foyer. Incapable de trouver ce que c’est, qu’un foyer. Celui dont on trouve la définition dans les dictionnaires. T’es pas bien grand. T’es loin d’être musclé. Tu manges pas assez. T’as jamais eu assez à manger. Mais ça t’empêche pas de lui écraser ton poing dans la gueule. Parce que ça, tu sais le faire. T’as jamais eu assez à manger, mais t’as été nourri de ça. Des coups. De la violence. Alors, tu le frappes. En plein visage. Et quand ses mains viennent se placer sur son nez brisé, triste réflexe, alors tu frappes à nouveau. Encore, et encore. Tu frappes. Tu fonds sur lui comme ton père fondait sur toi. Et une fois de plus, tu comprends. Tu comprends le bien que cela fait. De frapper. De laisser ce flux de colère se déverser. De laisser ce ruisseau couler, sans ne plus chercher à le contenir…


T’as perdu le compte des années. T’es même choqué qu’ils s’en soient soucié. Personne ne s’en est jamais soucié. Alors tu restes là, à les observer, avachis contre le chambranle de la porte. T’as la gueule couverte de bleus, le corps meurtri sous ton pull trop grand. T’as des cernes d’un bleu flirtant avec les ombres, témoignage de ta fugue de la veille, de ta nuit au poste. Ils sont venus te chercher, comme s’ils en avaient quelque chose à foutre. Mensonge. Tu n’es qu’un dossier pour eux. Un dossier sur lequel ils ont lu une date. Alors, ils ont fait un gâteau. Et ils y ont glissé des bougies qui fondaient, à présent, lentement pour se fondre avec le chocolat mal cuit. Et ils chantent. Ils sont heureux, ces cons. Comme s’ils en avaient quelque chose à foutre, de toi ou de ton seizième anniversaire. T’es dans le système depuis assez longtemps pour savoir que c’est faux. Ils t’ont déjà mis une étiquette. Ils savent que t’es un paumé, que tu ne feras jamais rien de ta vie. T’es déscolarisé. T’adhères à aucun projet. Tu fugues. Tu fumes. Tu te colles des seringues dans les bras. Comme tes parents avant toi. Tu bois. Tu te bats. Comme ton père avant toi. Tu passes plus de nuits au poste que dans ton lit, celui qu’ils t’ont alloué, pour le temps que tu serais là. Pas longtemps. Tu restes jamais longtemps. Ils te foutent vite à la porte quand ils comprennent. Qu’ils ne créeraient pas de liens avec toi. Qu’ils ne pourraient pas faire leur job. Pas avec toi. T’es une cause perdue. Alors, ils te foutent dehors. Ils t’envoient dans un autre foyer. Séjour de rupture sur séjour de rupture, mais t’adhères pas, jamais. Alors, ils donnent ta place, et tu continues de trainer d’un foyer à l’autre. Dans la rue. Dans les postes de police. Tu réintègres le système, t’en joues. Parce que c’est devenu un jeu. Celui du chat et de la souris. T’es plus un gamin. Pas pour eux. Dans deux ans, plus personne ne te ferais de gâteaux. Plus personne ne t’enverrait en cure de désintox, plus personne ne viendrait te chercher à l’hôpital, plus personne ne ferait semblant de s’intéresser à toi, plus personne ne prendrait du temps pour toi. Alors, comme eux, tu fais semblant. T’esquisses un triste sourire. Aussi faux que les leurs. Et tu t’avances, vers ce gâteau qu’ils disent avoir fait pour toi. Menteurs. Lentement, tu te penches vers les bougies, et tu souffles.
Et l’espace d’une seconde, tu y crois.


T’avais voulu y croire. Que ce foyer serait le bon. Que ce serait ton foyer. Celui qui deviendrait ton chez toi. Mensonges. T’avais tenu plus longtemps qu’ailleurs. T’avais adhéré. T’avais créé du lien, des liens. T’avais tissé un réseau. T’avais appris quelque chose, commencé une formation. En mécanique. Quelques connaissances, mais aucun diplôme. Tout avait volé en éclats. Dans la violence. Dans les coups. Et ils t’avaient envoyé ailleurs. Comme ils le faisaient tous. Parce que t’étais une cause perdue. Parce que t’étais le problème et non la solution. Parce que ton dossier était bien trop lourd. Parce que ton sort était déjà tranché, depuis des années. Parce que c’était leur métier, de créer du lien et d’oublier les promesses qu’ils faisaient.  


« Parce que tu crois que t’as le choix ?! » Ils rient. Sombre crétins. Et toi, tu craches du sang. A croire que tu n’es bon qu’à ça, que tu ne sais faire que ça. Essuyer les coups et te vider de ce liquide si précieux dont tu n’as que faire. T’aimerais qu’ils en finissent. C’est tout ce que t’as toujours voulu. Depuis le premier jour. Depuis la toute première fois. La toute première pluie de coups tombés sur toi. Tout ce que tu voulais, c’était que la douleur cesse. Que ton sang coule assez pour que tes blessures jamais ne se referment. Les coups qui s’abattent sur toi. Comme une malédiction. Comme une punition que tu penses mériter. Pour le simple fait d’être né. Alors non, tu sais que tu n’as pas le choix. Tu n’as jamais eu le choix. Pas toi. Les autres avaient toujours choisi pour toi. Tu avais toujours subi. Suivi le chemin qui semblait t’être tout tracé. Et tu savais qu’aujourd’hui ne dérogerait pas à la règle. On ne vit pas dans la rue sans en subir les conséquences. T’es de ceux qui subissent. De ceux qu’on remplace. Alors t’acceptes. Tu prends le paquet qu’on te tend. Et ce soir, comme tous les autres soirs, tu ferais ce qu’on te demande, tu donnerais ces petits cachets en échange d’une rondelette somme d’argent. Putain de gosses de riche qui se défoncent la tronche avec une mauvaise came. Une came hors de prix dont tu ne tirais pas un grand bénéfice. Quelques verres dans des soirées branchées. Quelques billets glissés dans ta poche. Tirer des coups faciles. Des meufs faciles. Après tout, c’est ce que tu avais connu de mieux. Un endroit où t’avais l’impression d’être accepté. Parce que t’avais l’impression de faire partie d’un tout. D’appartenir à un monde que tu savais ne pas être le tiens. Parce que tu leur donnais ce qu’ils voulaient, ce dont ils avaient besoin. Mais tu savais, au fond, que tu n’étais pas un des leurs, que tu ne le serais jamais. Parce que tu n’as ta place nulle part. Parce que tu n’es personne. T’es celui qu’on paie pour se défoncer. Un petit revendeur. Le mec qui ne parle pas, celui qu’on oublie, celui à qui on ne fait pas attention. Un revendeur parmi tant d’autres, mais qui a su se faire une clientèle, qui se fait inviter aux soirées de ces sales gosses de riche.

Et puis il y avait eu ce soir-là. Tu n'avais pas eu le choix. Tu n'avais jamais eu le choix. Petite poudre blanche aux douces vertus étourdissantes. Poudre miracle aux vertus menteuses. Honteux mensonge auxquels tant veulent croire. Jusqu'à ce qu'il soit trop tard. C'était pas toi. Pas de ta faute. Toi, t'avais pas eu le choix. T'avais vendu les cachets qu'on t'avais donné. T'avais pas eu le choix. T'étais qu'un revendeur. Pas le choix.
Pas le choix.