□ you made me the thief of your heart.

JUILLET 2016, SHREVEPORT (LOUISIANE, ETATS-UNIS)
Haletante, elle essuya le sang perlant de sa lèvre écorchée d’un revers de la manche. Elle n’avait pas beaucoup de temps devant elle. Pourtant, ses yeux s’attardèrent un instant sur l’homme à ses pieds, inconscient. Cette lampe de chevet qu’elle avait laissé tomber, l’abat-jour couvert de sang. A peine avaient-ils quitté La Nouvelle Orléans qu’il avait menacé de mettre le feu à cet argent. Il craignait qu’il ne se mette entre eux. Vera venait de réclamer sa part, lui révélant sa volonté de faire cavalier seule. Lui avait décidé qu’ils iraient se faire oublier quelque part dans l’Idaho. Mais Vera n’avait plus envie de le suivre, et ce depuis un moment déjà. Seulement, elle avait eu trop peur des conséquences d’une telle décision. Ce fut seulement ce soir-là qu’elle avait eu le courage de lui tenir tête, se jetant dans un corps à corps qu’elle n’a jamais eu l’assurance de gagner. « Je crois que finalement, on n’ira pas se terrer dans ton trou, Vince, » murmura-t-elle. Libre, elle serait libre ! Sans hésitation, elle enjamba le corps, attrapant la mallette posée sur le lit. Sa carte de sortie, sa deuxième chance. Vera avait bien l’intention de tout recommencer, une fois de plus. Elle ne ferait pas les mêmes erreurs, comme elle avait fait avec Vince. Aujourd’hui, leur petit duo d’escrocs prenait fin. Ce pactole, elle l’aurait pour elle seule. Bien que rien ne soit encore joué, la jeune femme eut à ce moment l’intuition que sa dernière arnaque serait de loin la plus belle.

AOUT 2016, DETROIT (MICHIGAN, ETATS-UNIS)
Leur dernière rencontre avait eu lieue douze ans ans plus tôt. Vera avait balayé ses scrupules quant à se tenir là, aujourd’hui. Ce qu’elle lui demandait, elle n’était pas sûre de l’obtenir. Elle se devait être convaincante. « S’il me retrouve, ce sera lui ou moi. Je n’en dors plus la nuit. » Elle avait montré son épaule tuméfiée, pour appuyer ses propos. Elle ne mentait pas. Vince lui ferait payer son affront, et si elle avait eu le dessus cette fois c’était sans doute un coup de chance. Les yeux baissés, elle abattait ses cartes une à une. Bron était loin d’être stupide. Si elle ne culpabilisait pas, la Vera qu’elle était il y a douze ans aurait eu des scrupules à lui demander ce qu’elle lui demandait, des risques qu’elle lui faisait encourir. Mais elle n’avait pas le choix, se répétait-elle. Il lui en fallait venir là pour vivre en paix. C’était un article de journal qui l’avait inspirée. Une femme qui s’était faite passée pour morte en emportant le contenu du coffre-fort conjugal. « Je ne peux pas aller voir la police, de toute façon ils ne pourront rien faire pour moi, » soupira la jeune femme. Comble de l’ironie puisque Bron se trouvait être un officier de police. Mais si elle était venue le voir, c’était davantage parce qu’ils avaient été amis, il y a plus de dix ans. Le fait qu’il soit flic ne faisait que renforcer sa croyance selon laquelle il était capable de l’aider à se débarrasser définitivement de Vince en lui permettant de recommencer sa vie ailleurs. « Et puis … ils vont trouver des trucs. » Aveu qu’elle faisait. Vera n’en était pas à son premier coup, loin de là. Ado déjà, elle avait été coffrée pour vol à l’étalage. Sa vie d’adulte pouvait se résumer en une succession d’arnaques. Et puis il y avait cette mallette qu’elle emporté avec elle. Vince avait abattu un homme pour s’en emparer, on ne tarderait pas à remonter à elle. Elle pourrait être mise en accusation pour complicité de meurtre. Mais cela, Bron l’ignorait. Et elle se garderait bien de lui préciser. « Je ne veux pas aller en taule. » Il n’ignorait pas qu’elle avait fait des conneries, Vera. Mais il valait mieux pour elle comme pour lui qu’elle ne précise pas les raisons pour lesquelles son ancien compagnon pourrait attenter à sa vie. « Il faut que tu me fasses disparaître. » Ou du moins, que tous la croient morte. Ainsi, Vince cesserait de la chercher, et elle pourrait tout recommencer en devenant une autre.

SEPTEMBRE 2016, CHICAGO (ILLINOIS, ETATS-UNIS)
« Tu as pensé à ce que tu vas faire ensuite ? » Elle l’écoutait d’une voix distraite, trop occupée à appréhender cette nouvelle tenue. Vera avait changé de vêtements dans la voiture, troquant ses vêtements tachés de sang contre une robe fleurie. Elle les avait abandonnés dans une poubelle sur une aire d’autoroute peu avant d’arriver à Chicago-O’Hare, sans réaliser alors. « Je ne sais pas. Je n’ai jamais vraiment réfléchi à la suite. »  Elle était impatiente d’être Elisabeth Archer. Beth. Une nouvelle vie s’offrait à elle, désormais que sa mort était un fait. Dans quelques heures, on retrouverait cette chambre de motel saccagée, des draps couverts d’un sang qu’on présumerait le sien. Bron avait veillé à ce qu’elle laisse des empreintes, tandis qu’il mettait en scène une agression à l’issue tragique. On croirait qu’elle s’était battue avec l’homme avec lequel elle avait passé la nuit. Des traces de lutte. Du sang sur la housse de matelas – il l’avait enroulée dans les draps pour la transporter jusqu’au pick-up dans la pénombre de la nuit. Il lui faudrait encore couler la voiture – celle de Vera, volée –  mais c’était fait. Elle était libre. Vera avait eu des doutes jusqu’au bout. Ne pensait pas que ce plan fonctionnerait. Mais les pièces s’étaient emboîtées, tandis que nouveaux certificat de naissance et passeport n’attendaient qu’à être utilisés. « On pourrait fêter ça, mais toi comme moi on sait que ce n’est pas une bonne idée, hum ? » Bron avait été clair à ce sujet : il l’aiderait, mais elle devait disparaître totalement. Plus jamais, ils ne devraient se croiser après ce qu’il aurait fait pour elle. Au nom de leur ancienne amitié, il franchirait le seuil de la légalité : une fois. Ce serait à elle de se débrouiller, à elle de faire en sorte que ça fonctionne. L’homme n’agissait pas de gaieté de cœur. Seulement, elle l’avait mis devant le fait qu’elle était en danger, et il avait cru à ce qui n’était pas complètement un mensonge. Une part d’elle regrettait de ne pouvoir être sincère. Mais il y a longtemps que Vera avait tiré un trait sur l’honnêteté. Arnaqueuse, elle demeurait. « Je ne pensais pas que tu accepterais. » Le hall des départs était devant eux. Leur chemin s’arrêtait ici. Quelque part, elle le remerciait de s’être compromis pour elle. Grâce à lui, Veronica Kincaid était morte ce soir-là.

NOVEMBRE 2018, BALTIMORE (MARYLAND, ETATS-UNIS)
Elle arrêta la voiture sur le bas-côté. Les larmes ne tardèrent pas à s’abattre sur ses joues, sans pouvoir s’arrêter. Toute la tension accumulée au cours des douze dernières heures ne demandant qu’à sortir, tandis que son corps se relâchait, son visage ne tardant pas à se superposer au volant du véhicule. Un mélange de colère et de terreur. Elle n’était pas en sécurité. Elle ne le serait jamais. Beth avait été stupide de se croire à l’abri. Sa vie, elle l’avait construite ailleurs. New York. L’anonymat de la foule. Deux ans de sa vie fichus en l’air quelques heures auparavant. « Mademoiselle ? » On avait frappé contre le carreau, mais elle n’avait rien entendu. Elle tourna la tête nerveusement, pour constater qu’elle avait attiré l’attention d’un flic. Merde. La jeune femme prit une grande inspiration avant d’ouvrir la fenêtre passager. « Est-ce-que tout va bien, mademoiselle ? » Dire que Beth n’allait pas bien s’apparentait à un euphémisme. Il l’avait retrouvée. L’avait aperçue au hasard d’une rue de Brooklyn. L’avait suivie, repérant l’appartement où elle habitait pour l’y attendre lorsqu’elle serait absente. Elle en tremblait encore, songeant à la soirée d’horreur. Deux ans s’étaient écoulés, mais rien n’avait changé. Il ne l’avait pas oubliée. Et elle devait payer. Les images se bousculaient dans sa tête. La lutte qui en avait suivi se rejouait dans sa tête, encore et encore. Suffoquant alors que ses mains se pressaient un peu plus sur son cou. Beth avait pu se dégager de son étreinte mortelle, un coup dans l’entrejambe lui donnant suffisamment de temps pour s’échapper par la fenêtre. Une chance, elle habitait dans un de ces immeubles aux escaliers de secours extérieurs. Puis, elle avait roulé toute la nuit, la peur au ventre. Sans véritable direction, avec pour seule idée celle de mettre de la distance. Le regard qu’il lui avait lancé à jamais gravé en mémoire. « La nuit a été difficile. Problèmes de couple. » Elle avait cru Veronica Kincaid définitivement morte. Elle ne l’avait jamais vraiment été, Vince était venu le lui rappeler.