L'ennemi intérieur [Robyn & Isaiah]

L'ennemi intérieur

« Robyn Myers »

La chaleur commençait à devenir insupportable. Il suait et sentait chacun de ses muscles se noyer dans sa transpiration. Il avait l’impression de nager dans sa peau et qu’elle allait glisser de ses muscles, le laissant griller au soleil. Ou était sa soif d’alcool… ? Il aurait donné énormément pour ne pouvoir que sentir quelques relents de désinfectants.

Il avait cherché sa fille partout où il pouvait. Il avait aidé à sortir quelques cadavres de la carcasse de l’avion en priant, à chaque corps, que ce ne soit pas Kara. Puis il avait aidé à enterrer les personnes repêchées dans l’eau… Il avait vu tellement de corps et senti tellement de chair pourrissant au soleil que personne n’avait paru étonné quand il passa sa première nuit à vomir et à ravaler ses nausées. S’il avait l’estomac fragile ce n’était pas forcément à cause des odeurs qu’il avait côtoyé quelques fois pendant son ancien travail, mais bien l’envie d’alcool.

A la deuxième nuit, avoir réussi à manger quelque chose et avoir réussi à se reposer avait légèrement atténué ses symptômes, mais il ne se sentait toujours pas bien. Il avait prévu de boire un petit coup en arrivant des Etats-Unis, mais c’était loupé de chez loupé… Et bien sûr il avait prévu d’acheter de l’alcool sur la route, il n’en avait pas pris dans sa valise, alors ce n’était même pas utile de chercher dans les nombreuses valises échouées.

Son souffle commençait à se faire légèrement court, comme si ses poumons n’arrivaient pas à se remplir correctement d’air. Il s’était éloigné des autres ce matin, peut enclin à montrer son visage pâle, ses sueurs froides et son état général cadavérique aux passagers… Ils ne comprendraient pas et penseraient qu’il avait choppé une maladie tropicale bizarre. Et s’ils avaient l’air de personnes raisonnables, Isaiah avait vu des tonnes de cas d’hystéries collectives qui finissaient avec un meurtre… Il n’avait pas envie de faire l’objet de la paranoïa croissante des autres. Lui-même commençait à trouver le temps long.

Il s’était installé près de la mangrove, sur une pierre, et se passait de l’eau sur la nuque, régulièrement, espérant faire tomber sa température élevée. Il restait assis, en tentant de réduire sa taille et de se faire oublier. Peut être que les autres se diraient qu’ayant perdu sa fille, il avait besoin d’être seul. Mais le procureur savait surtout qu’il n’arriverait pas à la retrouver dans cet état et qu’il fallait qu’il trouve un moyen d’aller mieux.

L'ennemi intérieur

« Robyn Myers »

Lorsqu’une voix féminine s’élève, il sursaute presque avant de constater que c’est un visage familier. Une jeune femme qu’il avait vu à l’aéroport avant d’entrer dans ce satané avion… Il n’arrive pas exactement à se rappeler de son prénom. Son esprit était tellement embrouillé qu’il avait du mal à se concentrer. Ses rêves et cauchemars étaient mélangés avec ses souvenirs. Il essayait sans cesse, chaque seconde de s’empêcher de vomir… Il n’avait donc pas l’énergie ni les capacités pour essayer de fouiller dans sa mémoire pour essayer de resituer la jeune femme. « Bonjour… » dit-il et tenta d’esquisser un sourire qui avait plus l’air d’une grimace. « Ouai… » dit-il.

La présence de la jeune femme qui semblait aller bien mieux que lui ne lui fit que se sentir plus mal. Avoir la comparaison avec une personne ne faisant pas de crise de manque lui faisait du coup réaliser à quel point il devait avoir une sale tête… Et d’ailleurs, la femme le lui rappela directement en lui demandant ce qui se passait.

Il se redressa légèrement et se passa une main sur le visage. Il grimaça. Il avait oublié sa coupure à peine guérie sur le front et ses mains étaient encore pleine d’eaux salées. « La chaleur, les secours qui n’arrivent pas, ma fille qui est probablement morte… Je dirais que ça a commencé quand on s’est crashé… Étrange hein ? » son ton sarcastique était presque mauvais. Sa douleur et son malaise le rendaient bien plus hargneux qu’à son habitude. Il aurait certainement ponctué son petit trait d’esprit d’un sourire à moitié moqueur mais là, il n’arrivait pas. Sa grimace était figée dans son visage pâle trempé de sueur.

« Un mojito avec des glaçons, ça m’aiderait pas mal… » humour… En fait pas vraiment. Il aurait bien aimé avoir seulement une gorgée de n’importe quoi. Il avait l’impression que ça l’aiderait. Qu’il arriverait à gérer après cette dernière gorgée. Mais bien évidemment, cela ne s’arrêtait jamais, c’était bien pour cela qu’on appelait ça une addiction.

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« Robyn Myers »

La jeune femme lève les yeux au ciel et passe sa remarque plus ou moins sous silence avant de lui rappeler sa coupure et d’essayer de mettre un nom sur ce qu’il semblait manifestement avoir. Isaiah ne voulait pas que son alcoolisme se sache. Déjà, il n’avait pas encore mis un mot dessus même s’il savait pertinemment ce qu’il avait. Ensuite, cela allait possiblement créer des complications. Personne n’avait envie d’aider un poivrot. Il s’était attiré son état sur lui-même par ses mauvaises décisions. Lui-même le reconnaissait et lui-même pouvait imaginer ne pas vouloir aider un drogué ou quelqu’un de peu fréquentable dans une situation aussi étrange…

Il manqua de tomber en arrière quand il sentit ses deux mains sur son visage. Il grogna quelque chose dans sa barbe de trois jours en évitant le regard de l’ambulancière, espérant par là cacher pourquoi il était dans un état pareil. Sa proximité lui donna un haut le cœur. Non pas qu’il la trouvait répugnante, mais le manque d’espace soudain lui donna des vertiges étranges qui les tordirent les boyaux. « C’est rien… » finit-il par dire quand elle lui expliqua qu’il aurait du la trouver avant… Il manqua de lui avouer qu’il essayait justement de l’éviter, elle et les autres médecins de l’avion.

Puis elle se rassit après avoir partagé son envie de mojito et lui demanda si sa fille était à l’avant de l’appareil. Il hocha la tête en se passant une main sur sa nuque pleine de sueurs froides. « Ouai… J’étais à l’arrière de l’avion quand ça a commencé… On avait des sièges au deuxième rang… » Son espoir de père ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle était vivante tant qu’il n’avait pas vu son corps inanimé. Mais au fond, une pensée noire qui accompagnait souvent ses prises d’alcool, lui susurrait que c’était perdu.

« Vous étiez seule dans l'avion ? » demanda-t-il, curieux. Avait-il été le seul séparé de la personne avec qui il voyageait ? Il ne l’avait pas vu particulièrement proche d’autres personnes… Et puis il avait envie de faire la conversation, ça lui détournait l’attention de son état.

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« Robyn Myers »

La jeune femme lui avoue avoir voyagé avec deux autres personnes, des amis ainsi que son frère qui était, comme la fille d’Isaiah, à l’avant de l’appareil. Elle lui expliqua penser qu’ils étaient vivants, et qu’elle avait plus d’espoir de les trouver que de voir arriver des secours. Isaiah renifla et se passa la manche de sa chemise sous le nez pour enlever la sueur qui lui dégoulinait le long du visage. « Hum… J’ai envie de croire qu’avec une planète blindée de centaines de satellites en orbite, on n’est pas si invisible que ça… » mais ça, c’était son cerveau cartésien de procureur qui parlait. Le type qui ne faisait que croire aux faits froids et impersonnels, qui ne doit pas laisser trop de sentiments suinter entre les lignes. Car finalement, même si l’empathie est nécessaire, elle devient vite un fardeau pour une accusation bien faite… Sauf qu’il n’était plus procureur. Il était Isaiah, l’employé qui remplissait les rayons des supermarchés et que tout le monde ignore. Finalement, si les secours ne les voyaient pas, ce ne serait que l’expression ironique qu’a été sa vie.

Île, expéditions… « Tu t’entends parler ? On dirait que tu te crois dans un remake de Jurassic Park… » grimaça-t-il entre ses dents. Il avait presque l’impression que certaines personnes semblaient trouver du plaisir à la situation. Son esprit inquiet, embrumé par le manque d’alcool, se retrouvait acculé dans des recoins sombres et peu agréables de son cerveau. Il se sentait attaqué de toute part par son propre corps, et cette impression se reflétait évidemment sur le monde extérieur. Est-ce que la jeune femme se moquait de lui ? « Il faut faire un feu, un SOS… Un truc pour se faire voir… Et on rentrera tous chez soi. Comme si rien ne s’était passé… » conclut-il, omettant de rajouter qu’à cet instant il pensait certainement plus à une bouteille d’alcool qu’à sa fille, dans son esprit malade.