GHOSTS • libre

Au moment où il s'y attendait le moins, la réalité des derniers jours heurta Neal de plein fouet, comme si elle attendait le bon moment pour l'anéantir.

Il n'avait pas craqué le soir du crash, lorsqu'il avait compris qu'Ellie ne le rejoindrait autour du feu de camp. Il était resté calme quand il avait réalisé que les secours tardaient à venir et qu'il ne reverrait peut-être plus jamais Lucy, Paul et Tamara. Il n'avait pas non plus réagi lorsqu'on avait retrouvé le corps d'un survivant dans la jungle, à moitié dévoré par les bêtes sauvages. Non, il s'était simplement contenté de faire ce qu'il savait faire de mieux : il avait examiné le cadavre puis avait aidé à enterré le pauvre homme auprès des autres malchanceux.

Il pensait que le plus dur était passé et qu'il avait surmonté le choc à sa manière. La veille, quelqu'un s'était étonné de son calme presque glacial et il avait répondu d'un simple haussement d'épaules. Était-ce parce qu'il avait déjà connu les horreurs de la guerre qu'il restait si stoïque face à la tragédie qu'ils vivaient tous ? C'était ce qu'il avait cru mais à présent, il savait qu'il se mentait à lui-même, comme d'habitude. Il avait enfoui son chagrin en pensant ne jamais le revoir mais le problème avec le chagrin, c'est qu'il était du genre tenace. Et qu'il pouvait surgir à n'importe quel moment, sans crier gare, sans vous laisser le temps de vous y préparer. C'était comme se retrouver sur le ring, face à une montagne de muscles sans jamais avoir enfilé le moindre gant de boxe. KO inévitable.

Il devait sortir d'ici, sortir de l'infirmerie dans lequel il s'était enfermé depuis une semaine pour ne pas avoir à affronter la réalité. Soudain, il avait l'impression d'étouffer, de manquer d'air, comme ceux qui avaient péri en mer lors du crash et s'étaient enfoncés dans les profondeurs. Peut-être que c'était ce qui lui était vraiment arrivé, peut-être qu'il s'était noyé et que tout ce qu'il vivait depuis sa mort n'était que les prémices d'un enfer éternel. Abandonnant brutalement le patient qu'il était en train d'examiner, il sortit précipitamment de la tente et se mit à marcher dans le sable sans savoir vraiment où aller. De toute façon, il n'y avait aucun moyen d'échapper à l'île : il aurait beau marcher des heures, il finirait toujours par se retrouver au même point de départ. Il était piégé ici, sans Ellie, sans sa famille, sans personne.

Il suffoquait à présent. Vite, il devait à tout prix s'éloigner de l'agitation du camp et trouver un endroit tranquille pour laisser libre court à son chagrin. Personne ne devait assister à ce spectacle pathétique, personne ne devait voir que son corps le lâchait et que ses mains tremblaient. Finalement, il tomba à genoux près des débris de l'avion, là où il avait espéré ne pas trouver le corps d'Ellie. Même si tous les cadavres avaient été enterrés, Neal avait l'impression d'être entouré de fantômes. Heureusement, le soleil s'était presque couché sur le campement et de là où il était, personne ne pouvait le voir, accroupi dans le sable, pleurant toutes les larmes de son corps. Ellie est morte. Ellie ne reviendra pas. C'est ma faute, c'estmafaute, c'estma... Un craquement dans le sable le fit brusquement sursauter : quelqu'un était là, tout près de lui et l'observait peut-être depuis tout à l'heure ! Dans une tentative désespérée de ne pas passer pour un parfait taré, Neal essuya précipitamment ses larmes d'un revers de manche de chemise, et fit semblant de chercher quelque chose dans le sable. Avec un peu de chance, la personne venait tout juste d'arriver et il pourrait simplement expliquer qu'il cherchait un objet perdu parmi les débris de l'avion.

— Ahem... commença-t-il se raclant la gorge afin de retrouver une voix normale. Il préférait entamer la conversion afin de prendre les devants. Bonsoir. Tout va bien ? demanda-t-il à la silhouette qui était presque à sa hauteur désormais.